S’il y a un enjeu pour le Continent africain au XXIème siècle, c’est bien celui de la sécurité alimentaire : l’Afrique parviendra-t-elle à nourrir ses hommes et ses femmes ? Enjeu de souveraineté, enjeu de dignité. L’Afrique pourrait y parvenir, c’est d’ailleurs un impératif, mais pour mettre fin à l’insécurité alimentaire, il y a sans doute une condition essentielle : la formation de la jeunesse. Chaque jour, des milliers d’hectares restent inexploités, faute de compétences humaines. Pendant que les marchés sont inondés d’importations, des millions de jeunes restent sans emploi, sans perspective.
L’Afrique a les terres, l’eau, et surtout ses jeunes. En misant avec eux sur une agriculture moderne elle peut construire sa souveraineté alimentaire. La route sera longue. Car pour l’heure, le « grenier du monde » remplit les assiettes des autres…
L’Afrique reste un paradoxe alimentaire. Riche en ressources agricoles, le continent exporte massivement son cacao (70 % de la production mondiale vient d’Afrique de l’Ouest), son café, son coton, son huile de palme ou ses fruits tropicaux… Alors que ses terres fertiles nourrissent les marchés mondiaux, une partie importante de la population du Continent peine encore à se nourrir correctement. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), plus de 280 millions de personnes souffrent de sous-alimentation sur le continent.
ÉNORMES PERTES
Comment l’expliquer ? D’abord parce que le modèle de développement reste orienté vers l’exportation. Résultat : les paysans consacrent leurs terres aux demandes des marchés et se retrouvent à importer des denrées de base à prix élevé. L’Égypte et le Nigeria dépendent massivement des importations de céréales, ce qui les rend vulnérables aux crises mondiales : la guerre en Ukraine a fait exploser les prix du blé.
Ensuite, une grande partie des terres agricoles africaines est exploitée avec des méthodes archaïques et un manque d’accès à l’irrigation, aux engrais ou aux machines modernes. Les infrastructures de stockage et de transport sont insuffisantes, d’où d’énormes pertes.
Enfin, sécheresses, inondations ou invasions de criquets ont aggravé la situation alimentaire ces dernières années. Guerres, conflits internes (au Sahel, au Soudan, en RDC, en Éthiopie…) perturbent la production et la distribution alimentaire, plongeant des millions de personnes dans la famine.
SOUTIEN AUX PETITS PRODUCTEURS
Il y a bien entendu des leviers et des remèdes possibles. Pour se nourrir efficacement, l’Afrique doit investir davantage dans les cultures vivrières locales (mil, sorgho, manioc, niébé) et réduire la dépendance aux importations. Elle doit développer des industries agroalimentaires locales (fabrication de chocolat, torréfaction du café, transformation des céréales) et améliorer ses infrastructures : construire des routes, des entrepôts de stockage et moderniser les chaînes de distribution pour limiter le gaspillage. Pour soutenir les petits producteurs, il faut garantir un accès équitable aux crédits, aux engrais et aux technologies agricoles pour améliorer la productivité. Et encourager la consommation locale.
L’autre clé, c’est la formation de jeunes agriculteurs et le financement de leurs exploitations. En outillant la jeunesse, on renforce la production locale, on stimule l’économie rurale.
Plusieurs pays ont amorcé un changement profond et durable. En Côte d’Ivoire, le Programme Jeunesse et Agriculture (ProJEA) vise à former des milliers de jeunes aux métiers agricoles : maraîchage, élevage, transformation, gestion d’exploitation. Au Burkina Faso, les Centres de Formation Agropastorale (CFAP) proposent une formation technique complète aux jeunes : élevage, cultures maraîchères, transformation agroalimentaire. Au Sénégal, le Projet d’Appui au Développement Agricole et à l’Entrepreneuriat Rural (PADAER II) allie formation technique, accompagnement personnalisé et financement de projets agricoles portés par les jeunes. Le Projet d’Appui à l’Emploi des Jeunes en Milieu Rural (PAEJ-MR), lancé au Bénin avec le soutien de la Banque africaine de développement, mise-lui aussi sur la formation et le financement. Il cible des filières stratégiques comme la pisciculture, le maraîchage, le riz ou l’aviculture. Le Rwanda, a soutenu le programme “Youth in Agribusiness”, avec des partenaires comme la FAO et le FIDA. Au Nigeria, le programme N-Power lutte contre le chômage des jeunes. Le Maroc a mis en place un large réseau d’instituts de formation professionnelle agricole (IFPA). Au Cameroun, la formation agricole s’appuie sur des institutions clés comme la Faculté d’Agronomie et des Sciences Agricoles de l’Université de Dschang ou encore l’École pratique d’agriculture de Binguela. En parallèle, à travers sa Stratégie nationale de développement 2020–2030 (SND30), le pays met un accent particulier sur l’industrialisation de l’agriculture, le développement de l’agro-transformation et la structuration des chaînes de valeur.
URGENCE
Tous ces programmes, tous ces projets restent évidemment très insuffisants, bien loin des immenses besoins. La réduction de l’aide américaine au développement décidée par Donald Trump aura un impact très sérieux sur la sécurité alimentaire en Afrique. Elle obligera les gouvernements et les acteurs du secteur à se remettre en question pour atténuer le choc. Mais des milliers de jeunes entrepreneurs agricoles transforment localement les produits (jus, farine, huiles) et les vendent sur les marchés nationaux et régionaux. Des zones agricoles modernes se créent avec irrigation, équipements, logements et terres cultivables. Là où les États, les partenaires et les communautés investissent dans la jeunesse agricole, la sécurité alimentaire progresse réellement. En rééquilibrant les priorités agricoles et en renforçant l’autonomie alimentaire, le continent pourrait enfin tirer profit de son immense potentiel et garantir une sécurité alimentaire durable à ses citoyens. Cette nouvelle agriculture moderne peut contribuer à nourrir l’Afrique tout en créant de la richesse locale. Urgence, oui. Utopie ? Non. ●
Ulysse Gosset
Editorialiste international
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