Les systèmes alimentaires jouent un rôle déterminant sur l’état de santé des populations et ont une importante dimension culturelle, sociale et économique. Pour produire leurs aliments, les sociétés humaines transforment leur environnement avec un impact considérable sur les ressources naturelles, les écosystèmes et le climat. En retour, cet impact majeur affecte les conditions de production et d’accès à l’alimentation.
En Afrique, les besoins alimentaires augmentent en raison d’une forte croissance démographique et se transforment notamment du fait de l’urbanisation, des importations de produits alimentaires, et de politiques agricoles qui ne favorisent pas suffisamment les productions locales. L’Afrique fait face à des défis majeurs et elle doit adopter une approche à multiples facettes pour y répondre. Sur ces sujets, les études et réflexions sont nombreuses.
C’est pour contribuer à répondre à ces défis qu’en 2022, le Prix Jeunes Espoirs pour une agriculture et une alimentation durables a été lancé. C’est une initiative originale qui contribue à la production alimentaire locale et durable et à la création d’emplois par la formation, l’accompagnement et le soutien financier.
Une collaboration tripartite originale, un engagement commun






Lancé pour la première fois en 2022 dans six pays d’Afrique, le Prix Jeunes Espoirs est né de la rencontre de personnalités profondément attachées à l’Afrique et à son développement. Parmi elles : François Guinot, Catherine Bréchignac, Michèle Gendreau-Massaloux et Jacques Brulhet, responsables du Groupe Interacadémique pour le Développement (GID) – Jacques Brulhet étant également président honoraire de l’Académie d’Agriculture de France (AAF) –, Pierre de Gaëtan Njikam du Fonds Pierre Castel, et Siaka Koné, ancien directeur de l’École Supérieure d’Agriculture de Yamoussoukro (ESA) et membre associé de l’AAF.
Le Prix répond à un objectif commun : soutenir la jeunesse agri-entrepreneuriale africaine et contribuer au développement de systèmes alimentaires durables sur le continent. Il a déjà été attribué à trois reprises, et une quatrième édition est actuellement en préparation.
Le Prix Jeunes Espoirs s’appuie sur la complémentarité entre les secteurs public et privé pour bâtir des dispositifs solides, issus de regards croisés et d’expériences diverses, avec un fort impact local. Tel est le sens de ce partenariat : s’unir pour relever les défis liés à l’agri-entrepreneuriat et à la durabilité des systèmes alimentaires en Afrique, par le levier de la formation.
Cette coopération tire parti de l’expérience du Fonds Pierre Castel, via son programme historique de soutien à l’entrepreneuriat agricole, le Prix Pierre Castel. Ce concours panafricain, lancé en 2018, distingue chaque année de jeunes entrepreneurs à fort potentiel. Il s’accompagne de programmes personnalisés, de mentorat, de mises en réseau, ainsi que de dotations financières. Les lauréats sont choisis pour leurs initiatives créatrices de valeur, et leur contribution concrète au développement des systèmes alimentaires dans leurs territoires.
Les filiales de Castel Afrique sont également activement impliquées dans ce dispositif. Ce dernier s’appuie aussi sur l’expérience des onze académies européennes et africaines qui composent le GID, à travers son programme GID-Agri, dont l’objectif est de donner envie aux jeunes Africains de s’engager dans les métiers liés aux systèmes alimentaires, en les accompagnant et en les soutenant dans leurs projets.
Les académiciens, notamment ceux de l’Académie d’Agriculture de France, jouent un rôle central dans l’accompagnement des jeunes lauréats. Enfin, cette collaboration est enrichie par l’expertise pédagogique de l’ESA de Yamoussoukro, avec l’implication active du Dr Casimir Gboko, à la tête de l’établissement depuis 2024. L’école, qui forme des cadres dans tous les domaines des sciences agronomiques pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique subsaharienne, accueille les lauréats pour deux semaines de formation à la gestion de petites entreprises engagées dans la transition vers des systèmes alimentaires durables.
Dix-sept jeunes entrepreneurs récompensés depuis 2023

La vocation du Prix Jeunes Espoirs est de sensibiliser de jeunes entrepreneurs de l’agroalimentaire en Afrique à la notion de « durabilité des systèmes alimentaires », de leur apporter des compétences entrepreneuriales complémentaires utiles pour le lancement de leur entreprise, et de les soutenir régulièrement pour leur permettre de la développer. Ce concours récompense l’esprit d’entreprise et encourage les activités agricoles et agroalimentaires impactant positivement leur écosystème local : création d’emploi, modes de production durables, prise en compte de la dimension « Responsabilité Sociétale et Environnementale », contribution au développement socio-économique. Les entreprises sont des startups au stade 2 de leur développement (amorçage). L’idée a été identifiée, développée et testée, et le produit est présenté sur le marché depuis un ou deux ans.
Les lauréats du Prix Jeunes Espoirs sont choisis parmi les finalistes Prix Pierre Castel, qui est attribué par le Fonds Pierre Castel et ses filiales de six pays d’Afrique : Algérie (Castel El Djazaïr), Burkina Faso (Brakina), Cameroun (Brasseries du Cameroun), Côte d’Ivoire (Solibra), Madagascar (Star), et République Démocratique du Congo (Bracongo). Des académiciens évaluent les dossiers. Ils examinent le porteur de projet (son expérience et son esprit entrepreneurial), le projet (la description des activités, leurs impacts économiques, sociaux et environnementaux), et l’expression par l’entrepreneur de ses besoins de formation et d’accompagnement. Ceci permet de sélectionner deux entrepreneurs par pays qui sont ensuite auditionnés par un jury composé de représentants du GID, du Fonds Pierre Castel et d’un entrepreneur africain. Il y a un lauréat par pays. Les filiales africaines de Castel aident les jeunes entrepreneurs à monter leurs dossiers, organisent et financent leur déplacement en Côte d’Ivoire pour leur formation. Line-Andrée Zamblé-Johnson, du Fonds Pierre Castel, anime les Prix.
Au cours des trois dernières années, dix-sept jeunes entrepreneurs ont été récompensés (fig. 1). Ils sont enthousiastes, sympathiques et engagés. Titulaires de diplômes universitaires, ils ont souvent effectué des formations complémentaires. Ils sont essentiellement dans le secteur agroalimentaire et 35% d’entre eux ont un chiffre d’affaires annuel entre 10 000 et 25 000 euros (fig. 2). Ils connaissent bien leurs matières premières (par exemple l’huile d’olive, les dattes, les fruits, la farine de mil, les tomates, les œufs, la poudre et l’huile de baobab, le poisson, etc.) et ont des ateliers de production de petite échelle avec 6 à 10 employés. Ils vendent sur le marché local et sont engagés pour une production durable, locale et de haute qualité. Lorsqu’on échange avec eux, on a vraiment envie de les soutenir et de les aider.
Les lauréats passent deux semaines en formation à l’ESA de Yamoussoukro
Depuis le lancement du Prix, l’École Supérieure d’Agronomie de Yamoussoukro accueille les lauréats pendant deux semaines. Les formations dispensées portent sur huit thèmes : stratégie d’entreprise, de la comptabilité au pilotage budgétaire, normes, qualité et conformité réglementaire, analyse des chaînes de valeur et acteurs de filière, management (structurer son projet pour générer de la valeur, ressources), gestion des ressources humaines, des compétences et des conflits, techniques de communication (pitch, business étiquette). Les lauréats visitent une usine locale de production, et passent une journée avec d’autres entrepreneurs et des élèves de troisième année de l’ESA, avec lesquels ils échangent sur leurs entreprises.
Des lauréats des années précédentes et un ancien élève de l’ESA, membre du jury, Mohamed Bakayoko Lamine, témoignent de leur expérience. Ils ont ainsi déconstruit quelques idées reçues sur l’entrepreneuriat : plutôt que de trouver un bon filon, il faut réaliser des études de marché, faire des prototypes et les adapter, éventuellement se réorienter ; il ne faut pas nécessairement beaucoup d’argent, il faut surtout calibrer son projet avec les moyens disponibles ; l’entrepreneuriat n’est pas une antidote au chômage, c’est un travail difficile, exigeant, qui requiert de nombreuses heures de travail, on peut se sentir très seul.e, et il peut s’écouler plusieurs années avant d’avoir une marge bénéficiaire.
Les prix sont remis aux lauréats lors de cérémonies officielles, ce fut notamment le cas lors de la première édition, en novembre 2022, à l’ambassade de France à Abidjan, en présence de plusieurs ministres. À l’issue de la formation, l’ESA organise une cérémonie de remise d’attestation de formation très appréciée par les lauréats.
Une enquête a été réalisée auprès des lauréats des trois promotions pour savoir ce qui leur a été le plus utile pendant leur formation. Ils trouvent que ce sont : la possibilité de construire un solide réseau professionnel ; les échanges d’expérience avec les autres lauréats et les formateurs ; le fait de pouvoir mieux comprendre le monde entrepreneurial et d’acquérir des compétences qui leur permettent de mieux structurer leur entreprise (comptabilité, gestion de la matière première, gestion des ressources humaines, relations avec les clients). Aminata Kabré, lauréate pour le Burkina Faso, témoigne ainsi :
« Au cours de ce séjour à l’ESA , je dirais que tous les formateurs étaient de grosses pointures, expérimentés et passionnés, qui ont su partager leurs expertises avec nous de manière claire et concise. La formation qui m’a été la plus utile, c’est la tenue de la bonne gestion de la comptabilité ; la gestion de la matière première et le leadership dans la gestion des ressources humaines. Aujourd’hui, c’est un sentiment de satisfaction : j’ai pu externaliser ma comptabilité, que j’ai confiée à un jeune cabinet d’expertise comptable à Ouaga. La gestion de la matière première est bien suivie. J’arrive à mieux gérer mon personnel en les mettant en confiance, comme il nous l’a été recommandé lors de la formation, et j’avoue que ça a réussi. »
Les lauréats sont accompagnés pendant une année par des académiciens
Il est proposé à tous les lauréats d’être accompagnés pendant une année par un académicien. C’est une spécificité de ce Prix, très appréciée par les lauréats, qui ont rarement l’occasion d’échanger avec des personnalités qualifiées, capables de leur apporter à la fois des connaissances et un regard extérieur. Les académiciens qui accompagnent les lauréats sont bénévoles. Ils ont tous travaillé en Afrique et certains ont dirigé une entreprise.
Les problématiques abordées dépendent des besoins des lauréats. Elles concernent le processus de fabrication, la commercialisation (locale et exportations vers d’autres pays africains qui ne sont pas toujours leur première cible), le marketing, les emballages, les besoins en équipement, les achats de matières premières, les besoins de formation, la comptabilité, etc. Elles portent même parfois sur des questions personnelles. Par exemple, Jean-François Hug, ancien dirigeant de Chancerelle (Conserves de poisson Connétable), Régilait (Poudre de lait de consommation et infantile) et Jean Stalaven Traiteur (Plats cuisinés sous vide), et membre de l’AAF, accompagne depuis trois ans des lauréates dans le développement de leur entreprise.
« Les dirigeantes que j’ai accompagnées sont confrontées à des défis, tant dans leur pays d’origine qu’à l’export, en particulier sur les volets commercial et production. Ensemble, nous avons travaillé sur plusieurs leviers : l’identification des besoins des consommateurs, les techniques de promotion, la différenciation concurrentielle, le positionnement de marque, l’élargissement des gammes, la valorisation des signes de qualité, ainsi que l’augmentation des capacités de production et le renforcement des compétences en création de nouveaux produits », a-t-il dit en février 2025 lors de la conférence sur le Prix qui a eu lieu au Salon International de l’Agriculture.
« Avec Kahina Ouaged (lauréate 2022 – Algérie), nous avons étudié les conditions nécessaires pour développer ses ventes en France. Ses deux visites au Salon de l’Agriculture lui ont permis d’explorer de nouveaux circuits de distribution et d’identifier des opportunités concrètes pour son activité. »
« Avec Astrid Nfongmo (lauréate 2023 – Cameroun), l’accompagnement a porté sur la définition de sa gamme de produits, la refonte du packaging, le renforcement de l’innovation produit par la formation, ainsi que le développement de sa présence dans des circuits de distribution plus structurés. »
Pierre Del Porto, ancien Directeur du Département Élevage et Traçabilité à la Sopexa et également membre de l’AAF, a accompagné Lova Rakotomalala (lauréate 2023, Madagascar), dont l’objectif est de passer de 15 000 à 30 000 poules pondeuses et de doubler le nombre de ses employés.
Véronique Bruzon, consultante internationale Climat, Environnement, Développement et membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, accompagne Aminata Kabré (lauréate 2023, Burkina Faso), qui produit et vend des infusions naturelles bio à base de plantes et d’épices locales, en boutique et en ligne.
« J’ai une très bonne relation avec Mme Véronique Bruzon. Nous n’échangeons pas tout le temps, mais à chaque fois qu’on fixe un call conférence, on parcourt tous les sujets concernant Voxell, et parfois même, voire au-delà, mon développement personnel. »
Lisette Ntumba (lauréate 2023, RDC) témoigne :
« Une belle expérience avec ma coach. De nos échanges, voici en quoi elle m’a été utile : ne pas disperser mon énergie, mon temps et mon argent dans tous les sens en mettant toute la gamme de mes jus sur le marché, mais en choisir 2 dans un premier temps, le plus apprécié par les enfants qui sont ma première cible ; cibler d’abord 3 à 5 écoles où vendre mes jus ; savoir bien poser certaines bases avant de prendre un crédit bancaire. »
Les lauréats reçoivent un « coup de pouce » financier de la part du Fonds Pierre Castel
Le montant attribué aux lauréats par le Prix Jeunes Espoirs est relativement modeste. Il s’élève à 1 650 euros, qui sont investis dans leur entreprise : achat de matières premières, amélioration des emballages, achat de pièces de rechange pour les machines, etc.
Les lauréats élargissent leur réseau
Enfin, le Prix Jeunes Espoirs permet aux lauréats d’élargir leur réseau. Ils passent quinze jours ensemble et continuent d’échanger après. Leurs entreprises sont mises en avant sur les plateformes du GID-Agri et du Fonds Pierre Castel, et ils intègrent le Club des bâtisseurs africains.
Des pistes pour l’avenir
En cette année 2025, la quatrième édition du Prix est en cours de préparation. Les organisateurs réfléchissent à rendre la formation encore plus pratique et adaptée à des entrepreneurs en phase de développement de leur entreprise, à faciliter la rencontre physique entre les accompagnateurs et les jeunes entrepreneurs, à leur ouvrir davantage de réseaux de professionnels et d’entrepreneurs, et à leur permettre de participer à des foires et des conférences pour élargir leurs opportunités et leurs réseaux. Ils s’interrogent également sur les moyens d’élargir les candidatures, et aussi d’ouvrir ce Prix à d’autres pays africains. Ce Prix est une modeste mais utile contribution au développement durable de l’agriculture et de l’alimentation de l’Afrique, par les Africains.
Marie de Lattre-Gasquet
Newsletter
Recevez nos actualités récentes directement dans votre boîte mail.