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Les entrepreneurs africains à la conquête du nouvel or vert

Kely Motue incarne un leadership féminin engagé au croisement de la finance, de la qualité et de l’agriculture en Afrique. Forte de 12 ans d’expérience dans le secteur bancaire, elle est aujourd’hui Directrice Qualité & Organisation chez Afriland First Bank. Auditrice certifiée ISO 9001 et formatrice PECB, elle allie expertise technique et vision stratégique. En parallèle, elle explore les synergies entre datamining, performance organisationnelle et entrepreneuriat agricole. Cette approche nourrit son engagement pour une transformation durable du secteur rural. Fondatrice du Ladies Club for Leadership, Kely œuvre pour l’autonomisation économique des femmes, notamment dans l’agriculture. Elle plaide pour un meilleur accès aux ressources, des réformes foncières, et le développement de solutions comme le microcrédit et les coopératives. Elle défend une agriculture au féminin, innovante, durable et porteuse de justice sociale.

par AfriVe

L’Afrique est aujourd’hui au cœur d’une transformation agricole qui pourrait redéfinir l’avenir alimentaire mondial. Avec ses terres fertiles, sa biodiversité exceptionnelle et une population jeune et dynamique, le continent détient tous les atouts pour relever les défis croissants de la sécurité alimentaire.

Pourtant, sur près de 874 millions d’hectares de terres cultivables, seuls 10 % sont exploités de manière efficace, laissant une immense richesse en dormance.

Longtemps perçue comme un secteur de subsistance à faible rentabilité, l’agriculture africaine se révèle désormais comme une puissance émergente sur l’échiquier mondial. Déjà, elle joue un rôle stratégique :

  • 70 % du cacao mondial proviennent de ses terres, alimentant l’industrie chocolatière ;
  • 50 % des noix de cajou mondiales, prisées sur tous les marchés, sont produites en Afrique ;
  • Le continent est aussi un exportateur majeur de fruits tropicaux : mangues, bananes, ananas.

Mais ce n’est qu’un début. Avec des investissements ciblés et une modernisation des infrastructures agricoles, le secteur pourrait générer jusqu’à 1 000 milliards de dollars d’ici 2030, faisant de l’Afrique un acteur central de l’économie mondiale.

Cette transformation repose avant tout sur une nouvelle génération de leaders audacieux. Ingénieurs, consultants, cadres d’entreprise : ces pionniers réinventent un secteur longtemps négligé. Ils restructurent les chaînes de valeur, modernisent les pratiques agricoles et créent des débouchés à l’échelle régionale comme internationale.

Ces entrepreneurs ne se contentent pas de cultiver la terre. Leur ambition est plus vaste : faire de l’agriculture un moteur économique, un levier écologique, et un outil de développement social pour les communautés rurales. En affrontant les défis climatiques, financiers et structurels, ils apportent des réponses concrètes aux enjeux mondiaux de sécurité alimentaire et de durabilité.

À travers leurs actions, ils démontrent que l’agriculture africaine peut redéfinir sa place dans le monde — et devenir l’un des plus puissants vecteurs de transformation du continent.

Quand la ville mène à la terre : trois parcours inspirants

Dieudonné Diego Twahirwa : le piment comme produit d’exportation rwandais

Originaire de Kigali, la capitale du Rwanda, Dieudonné Diego Twahirwa a grandi dans un environnement où l’agriculture était souvent perçue comme une activité de dernier recours. Pourtant, après plusieurs années passées dans le conseil en stratégie, il décide en 2015 de quitter son poste pour se lancer dans un projet atypique : cultiver du piment.

Partant d’une petite parcelle, il entrevoit très tôt un potentiel immense : faire du piment rwandais une culture d’exportation répondant à la forte demande asiatique. Les obstacles ne tardent pas à se manifester :

   Les aléas climatiques menacent les récoltes. Les chaînes logistiques internationales sont complexes et coûteuses.

Pour y faire face, il investit dans des systèmes d’irrigation solaire modernes, assurant la résilience de ses cultures en période de sécheresse. Il noue également des partenariats directs avec des importateurs chinois, optimisant ainsi la distribution. Aujourd’hui, son entreprise, Gashora Farms, est une référence régionale, générant plus de 500 millions de dollars de revenus et employant des centaines de Rwandais.

Yemisi Iranloye : valoriser le manioc au Nigeria

À Lagos, au Nigeria, Yemisi Iranloye menait une brillante carrière d’ingénieure industrielle lorsqu’elle choisit d’investir dans l’agriculture. Au fil de ses voyages, elle constate que le manioc, pourtant largement cultivé, est peu valorisé industriellement. Elle fonde alors Psaltry International Limited, une entreprise spécialisée dans la transformation du manioc en produits dérivés tels que l’amidon et la farine.

Son parcours est pourtant semé d’embûches :

  •     Le manque de mécanisation limite les rendements.
  •     Les coûts énergétiques élevés menacent la rentabilité.

Elle introduit des équipements agricoles modernes, augmentant de 40 % la productivité des agriculteurs partenaires, et installe des panneaux solaires pour réduire ses coûts énergétiques de 20 %. Aujourd’hui, Yemisi fournit des multinationales comme Nestlé et Unilever, emploie plus de 300 personnes et soutient une vaste communauté de producteurs locaux.

Fatimah Suleiman : innovatrice dans le nord aride du Nigeria

Dans les régions arides du nord du Nigeria, où les sécheresses rendent l’agriculture de subsistance de plus en plus difficile, Fatimah Suleiman choisit l’innovation comme levier de transformation.

Sa stratégie repose sur la résilience écologique :

  •     Elle adopte des cultures résistantes à la sécheresse telles que le millet et le sorgho.
  •     Elle met en place des systèmes de collecte et de stockage des eaux de pluie pour irriguer ses champs de manière autonome.

Ces choix lui permettent non seulement de stabiliser sa production, mais aussi d’exporter vers les pays voisins. Aujourd’hui, Fatimah est une figure de référence pour les agriculteurs de sa région, prouvant que l’innovation peut faire fleurir les terres les plus difficiles.

Les défis du terrain : une agriculture exigeante mais prometteuse

L’agriculture en Afrique, bien qu’elle porte les germes d’un avenir radieux, reste confrontée à des obstacles structurels, climatiques et financiers de taille. Les entrepreneurs, malgré leur vision et leur détermination, doivent sans cesse faire preuve de résilience et d’adaptabilité. Ces défis mettent à l’épreuve leur capacité d’innovation, mais ne parviennent pas à éclipser le potentiel immense du secteur agricole africain.

Climat imprévisible

Les sécheresses, comme celles qui ont frappé le Sahel et le Kenya en 2022, provoquent des pertes agricoles estimées à plusieurs milliards de dollars chaque année. Ces conditions extrêmes réduisent les rendements, fragilisent les exploitations et rendent les revenus agricoles incertains.

Fatimah Suleiman, dans le nord du Nigeria, en a fait l’expérience. Pour s’adapter, elle a introduit des cultures résilientes comme le millet et le sorgho, capables de prospérer dans des conditions arides. Elle a également mis en place des réservoirs de collecte d’eau de pluie pour assurer une irrigation constante. Son exemple prouve qu’une adaptation stratégique des pratiques agricoles permet de garantir une stabilité, même dans les environnements les plus hostiles.

Infrastructures insuffisantes

L’état des routes, l’accès limité aux marchés et le manque d’équipements agricoles restent des freins majeurs. Le coût du transport pèse lourdement sur la rentabilité des productions, et le manque de mécanisation limite les performances.

Pour Yemisi Iranloye, entrepreneure au Nigeria, la solution a été collective. En mutualisant les ressources logistiques avec d’autres producteurs, elle a réduit les coûts de transport. Elle a aussi introduit des mini-tracteurs adaptés aux petites exploitations, augmentant significativement la productivité. Ces mesures démontrent qu’une organisation efficace et des investissements ciblés peuvent pallier les faiblesses structurelles.

Accès limité au financement

Le financement demeure un obstacle critique. Les investissements initiaux nécessaires à la mécanisation, à l’irrigation ou à la transformation sont souvent hors de portée. L’accès au crédit agricole reste encore trop restreint.

Pour contourner cette difficulté, Fatimah Suleiman s’est appuyée sur une coopérative locale, lui permettant d’accéder à des fonds mutualisés. Grâce à cet appui, elle a pu investir dans des équipements d’irrigation et diversifier ses cultures. Cette stratégie collective lui a permis de stabiliser son activité et d’atteindre de nouveaux marchés régionaux.

Ressources humaines : un levier encore sous-exploité

La qualité de la main-d’œuvre agricole constitue un défi souvent sous-estimé. Manque de formation, faible qualification, absence de technicité : autant de facteurs qui freinent l’adoption de pratiques modernes et la productivité des exploitations.

Dieudonné Diego Twahirwa, à travers son entreprise Gashora Farms au Rwanda, a su transformer cette contrainte en opportunité. Il a instauré un programme de formation continue, axé sur l’usage d’équipements modernes et les pratiques durables. En parallèle, il a investi dans des infrastructures communautaires (logement, santé, services sociaux), fidélisant ainsi ses équipes et augmentant la productivité de façon significative. Son approche prouve que valoriser le capital humain est essentiel pour bâtir une agriculture performante, durable et équitable.

Ces défis, bien que réels, ne doivent pas être perçus comme des freins à l’essor agricole du continent. Au contraire, ils appellent à un accompagnement structuré, à des solutions contextualisées et à des investissements intelligents. Les incubateurs, programmes de soutien et politiques publiques adaptées ont un rôle crucial à jouer pour transformer ces contraintes en tremplins vers une agriculture résiliente et compétitive.

Incubateurs et soutiens clés : transformer les défis en tremplins

Dans un secteur agricole souvent confronté à des défis climatiques, financiers et humains, les incubateurs et les programmes de soutien jouent un rôle crucial. Ils offrent aux agripreneurs les outils nécessaires pour surmonter ces obstacles et bâtir des exploitations résilientes, modernes et compétitives. En conjuguant innovation, accompagnement stratégique et accès au financement, ces structures créent un environnement propice à l’éclosion d’une nouvelle génération d’entrepreneurs agricoles africains.

Tony Elumelu Foundation (TEF)

Depuis sa création en 2015, la TEF s’est imposée comme l’une des plateformes les plus influentes du continent pour le développement entrepreneurial. Elle a soutenu plus de 21 000 entrepreneurs, dont 34 % dans l’agriculture, via des subventions de démarrage de 5 000 $.

Mais son impact dépasse le financement : mentorats intensifs, formations en business strategy et mise en réseau permettent aux bénéficiaires de structurer et développer leurs projets. Parmi eux, Aisha Bello, au Nigeria, a transformé sa petite exploitation maraîchère en entreprise d’exportation vers l’Europe, grâce au soutien de la TEF.

African Farmer’s Academy (AFA)

L’AFA se spécialise dans le renforcement des capacités techniques et organisationnelles. Elle combine formations agricoles modernes et accompagnement financier adapté. Depuis son lancement, elle a formé plus de 15 000 agriculteurs, les aidant à adopter des pratiques agricoles résilientes face aux changements climatiques.

Au Kenya, l’AFA a accompagné des producteurs de maïs dans leur transition vers une agriculture commerciale, augmentant les rendements de 45 % en trois ans.

AgriTech Accelerator Africa

Cet incubateur mise sur la technologie au service de l’agriculture. En 2024, il a soutenu plus de 50 startups, parmi lesquelles des solutions d’irrigation automatisée, des capteurs connectés ou des plateformes de gestion de cultures.

Résultats : jusqu’à 30 % d’augmentation des rendements et 40 % d’économie d’eau. Ces innovations sont particulièrement pertinentes pour les régions sujettes à la sécheresse.

Fonds international de développement agricole (FIDA)

Le FIDA est un acteur majeur du financement de projets agricoles structurants. Son approche repose sur l’amélioration des infrastructures agricoles : systèmes d’irrigation, routes rurales, centres de formation.

Au Bénin, ses investissements ont permis de tripler les revenus agricoles et de faire bondir la production de riz. Le FIDA montre qu’avec un appui structuré, des chaînes de valeur durables peuvent être établies à grande échelle.

Ensemble, cultivons l’avenir de l’Afrique

L’agriculture africaine, longtemps reléguée à un rôle secondaire, s’affirme aujourd’hui comme un levier stratégique pour l’avenir du continent. Grâce à l’audace d’entrepreneurs comme Dieudonné, Yemisi et Fatimah, et à l’engagement d’acteurs tels que la TEF, l’AFA ou le FIDA, chaque défi peut devenir un tremplin vers l’innovation, l’emploi et la souveraineté alimentaire.

Avec 70 % du cacao mondial et 50 % des noix de cajou issus de ses terres, l’Afrique est déjà un pilier des chaînes alimentaires mondiales. Mais elle peut aller bien plus loin.  C’est le moment de rêver grand. D’investir dans nos terres. De cultiver une Afrique verte, résiliente et prospère.

En unissant nos forces, nous pouvons transformer l’agriculture en un moteur de croissance, au bénéfice des générations présentes et futures — et contribuer à réinventer l’avenir alimentaire du monde.

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