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Un fonds innovant pour financer la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest

Jean-Marc Gravellini a passé 35 ans à l’AFD, où il a terminé sa carrière comme Directeur exécutif des opérations. Il a ensuite été vice-président Afrique de la Compagnie Fruitière (2015-2017) et directeur de l’Unité de coordination de l’Alliance Sahel (2018-2020). Aujourd’hui consultant, il est secrétaire général de l’Association d’entreprises françaises en Afrique agricole, Senior Fellow à la FERDI et chercheur associé à l’IRIS. [Ndlr]

par Jean-Marc Gravellini

Contexte et nécessité de l’outils

Compte tenu des pénuries et des tensions inflationnistes provoquées par la crise du COVID puis la guerre en Ukraine, les enjeux de souveraineté et d’auto-suffisance alimentaires ont redoublé d’acuité, notamment en Afrique, un continent déjà confronté à une forte pression démographique et aux effets du changement climatique.

Dans ce contexte global, vingt ans après l’adoption de sa première politique agricole régionale, l’UEMOA a dressé en octobre 2023 un bilan selon lequel la région est loin d’avoir atteint les objectifs initiaux de sécurité alimentaire. En 2022, les données officielles indiquent que plus de 12,5 millions de personnes étaient encore confrontées à l’insécurité alimentaire. La productivité agricole régionale est en chute libre, ayant régressé de plus de 20% en raison de divers facteurs, dont évidemment les chocs climatiques mais aussi la faible mobilisation des ressources financières au bénéfice du secteur et un déficit de technicité important.

En effet, malgré l’importance de l’agriculture et de l’élevage, qui représentent près de 26 % du PIB régional, génèrent près de 60 % des revenus d’exportation et occupent en moyenne 50 % de la population de l’Union, les investissements gouvernementaux dans ce secteur ne se situent en moyenne qu’autour de 5% des dépenses publiques. Dans ce contexte, l’UEMOA entend engager une réorientation stratégique majeure, incluant une diversification des sources de financement et une plus grande implication du secteur privé, dans le cadre d’une approche intégrée des chaînes de valeur agricoles.

L’institution régionale fait en effet le constat que l’offre de crédits est largement inadaptée : la maturité des prêts bancaires est trop courte pour financer les investissements et les taux d’intérêt sont souvent trop élevés au regard de la rentabilité généralement différée des investissements. Quant aux institutions de développement dédiées au secteur privé, leur gestion de risques entre en conflit avec les objectifs d’impacts.

Dès lors, au regard notamment des défis de structuration des filières et des risques climatiques, quelles solutions pour pallier l’inadéquation entre l’offre et la demande de financement dans le secteur privé agricole, agro-industriel et de l’élevage ? Comment attirer plus de capitaux vers un secteur perçu comme trop risqué et où les retours peuvent être trop longs par rapport aux exigences du marché ?

À travers l’étude réalisée à la demande de l’UEMOA par la FERDI, la chaire de politiques de modernisation agricole en Afrique propose un véhicule de financement apportant une solution concrète à travers un véhicule, qui se veut non seulement novateur par sa structuration mais aussi impactant par les objectifs poursuivis. En ce sens, le fonds devra répondre à des objectifs financiers mais aussi extra-financiers.

Structure du véhicule de financement et ses caractéristiques

La création de ce fonds, exclusivement dédié aux entrepreneurs agricoles, est motivée par la volonté de leur faciliter l’accès au financement privé. Ce véhicule de financement devrait permettre de surmonter une grande partie des obstacles cités précédemment.

En termes de ressources, l’instrument mobilisera des investisseurs privés comme des fonds publics et philanthropiques. Les premiers seront positionnés sur des tranches seniors (moins risquées) tandis que les seconds seront positionnés sur les tranches juniors (plus risquées) et contribueront à la constitution d’un fonds de garantie.

Ce mode de structuration doit permettre de réduire les risques et limiter les freins à l’investissement pour les parties privées. Autrement dit, les ressources juniors doivent générer un effet de levier sur la levée de fonds privés tout en permettant davantage d’impacts sociaux et environnementaux. La réduction du niveau de risque pour les investisseurs privés permettra aux entreprises éligibles d’accéder à des financements plus importants mais aussi mieux adaptés à leurs capacités.

Pour couvrir l’ensemble des besoins des entrepreneurs, le fonds sera structuré en deux grands compartiments :
un premier compartiment, dédié à la dette privée
un deuxième compartiment, dédié au capital investissement avec deux sous compartiments. Un de capital-risque et un de capital développement afin de mieux répondre aux besoins des différentes typologies d’entreprises.

Les cibles d’investissement

Les entreprises ciblées par le fonds sont principalement des PME et des ETI opérant dans les secteurs suivants :
L’agriculture privée : agriculteurs, fournisseurs de semences et d’engrais, fabricants de machines agricoles et de matériel d’irrigation, etc…
L’élevage : éleveurs, abattoirs, fournisseurs d’alimentation animale, etc…
L’agro-industrie : transformateurs (dont laiteries), négociants, transporteurs, distributeurs, etc. …
Nos premières enquêtes de terrain ont mis en avant un besoin moyen par projet d’environ 3,5 millions d’euros pour les tailles d’entreprises ciblées . L’objectif de levée de fonds a par conséquent été fixé à 300 millions d’euros, ce qui permettra de soutenir une centaine d’entreprises agricoles de l’UEMOA. Nous prévoyons ainsi au cours des 5 premières années d’existence du fonds de mener à bien 85 transactions dans les 8 pays que compte l’UEMOA.

Résultats attendus

A) Les résultats financiers
La structuration du fonds telle que décrite précédemment, permettra de délivrer aux investisseurs privés des retours financiers proches de ceux du marché. Une équipe de gestionnaires de fonds spécialisée et expérimentée dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage, gérera le fonds et aura la charge de sélectionner les projets.

B) Les résultats financiers
À terme, la mise en place du fonds devrait permettre un large impact positif sur l’ensemble du secteur de l’agriculture, de l’élevage et de l’agro-industrie :

Structurer les chaines de valeur du secteur : les financements accordés permettront de développer les services agricoles et les maillons actuellement manquants dans les chaines de valeur. La complétude des chaines de valeur permettra non seulement de créer plus d’emplois mais aussi d’améliorer la salubrité globale des aliments et de réduire les pertes post-récoltes dues notamment à l’obsolescence/absence des moyens de conditionnement et de transport adaptés.

Créer des emplois plus rémunérateurs et respectueux des normes sociales : soutenir les entreprises agro-industrielles favorisera la production et l’essor d’une gamme plus large de produits à forte valeur ajoutée. En contraste avec les circuits existants qui se concentrent sur l’exportation de produits bruts peu rémunérateurs, cette initiative réduira la vulnérabilité des producteurs face à la volatilité des marchés. Les produits à valeur ajoutée génèrent des marges plus importantes et nécessitent des exploitants et employés qualifiés, ce qui entraînera davantage de valeur ajoutée et un meilleur niveau de rémunération, tout en veillant au respect des normes sociales.

Améliorer les rendements agricoles pour répondre à la demande des marchés domestiques, mais aussi contribuer à la préservation des ressources naturelles et, en premier lieu le climat : la modernisation des pratiques agricoles rendue possible grâce aux investissements réalisés dans le secteur agricole privé entraînera une amélioration des rendements agricoles ainsi que l’optimisation des ressources à long terme. Cette évolution permettra dans le même temps de limiter la dégradation des sols, des forêts, des ressources en eau, et du climat. ●

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